boulevard de Wallonie
Wallonie
Wallonie (boulevard de) [remplacé partiellement]
Wallonie (boulevard de) C7-C8
Wallonie (carrefour de) B8
Wallonie Nord (boulevard de) C7-D7-D8
Wallonie Sud (boulevard de) D6-D7-E6
Conseil communal du 24 juin 2003.
Toponyme créé (toponyme non descriptif).
* Thème du patrimoine wallon.
* Alors que d’autres noms de régions comme celui de la Picardie sont attestés dès le XIIIe siècle, Wallonie n’apparaît qu’au milieu du XIXe siècle, en 1844 plus précisément, comme néologisme dérivé du vieux mot wallon, qui, lui-même, n’est pas attesté en langue romane avant le dernier tiers du XVe siècle (voir la notice Wallons).
Auparavant, on peut relever d’une part une mention toponymique de 1388 désignant un fief à La Chappelle-d’Armentières (Flandre gallicante) et une mention isolée de novembre 1842 comme synonyme de France (par opposition au monde germanique), d’autre part dès la fin du XVIe siècle un substantif latin Wallonia, dans des documents cartographiques émanant d’ordres religieux, principalement les Capucins à partir de 1618 : Provincia Walloniae (au cas génitif Walloniae est bien un substantif et non un adjectif). Avec raison, A. Henry signale qu’il semble bien n’y avoir aucun lien entre ces mentions latines et les premiers emplois du nom « Wallonie » en langue française à partir du milieu du XIXe siècle, dans le cadre de l’État belge récemment créé.
La plus ancienne mention connue de Wallonie sous la forme wallonie (sans majuscule), avec le sens de ‘partie romane de la Belgique’ date donc bien de 1844 ; elle se trouve dans un écrit de (François-Charles-)Joseph Grandgagnage, magistrat et littérateur namurois, oncle de celui qui sera l’auteur du premier dictionnaire scientifique de la langue wallonne, Charles Grandgagnage. Il est rapidement suivi par l’historien liégeois Ferdinand Hénaux en 1845. Traditionnellement, on reconnait au poète Albert Mockel la renommée et le véritable essor du mot grâce à la création de sa revue littéraire symboliste La Wallonie lancée à Liège en 1886 (pour une étude précise du choix du mot Wallonie pour le titre de la revue en 1886, voir Hiernaux), en pleine naissance du mouvement wallon.
Cela ne semble qu’en partie vrai. Dans un premier temps, on a en effet considéré que l’usage de ce terme était resté confiné dans le milieu des philologues, historiens et régionalistes, namurois et liégeois essentiellement (une soixantaine d’occurrences). L’étude plus approfondie de Jean-Pol Hiernaux a permis de relever 42 occurrences supplémentaires entre 1844 et 1886, et surtout 13 occurrences sous la plume ou dans la bouche d’observateurs ou d’hommes politiques bruxellois et flamands ; celles-ci ne sont jamais transcrites en italiques ou entre guillemets, ce qui signifie que le terme avait perdu son caractère de néologisme et avait déjà commencé à se populariser. Cette émergence du nouveau mot Wallonie, au détriment des anciennes expressions « pays wallon » et « provinces wallonnes » pour désigner la partie romane de la Belgique, a connu bien des fluctuations sémantiques avant de se figer dans son acception territoriale ; ainsi Wallonie a même désigné au XIXe s. la communauté des francophones de Belgique (y compris de Flandre), les congrès des premiers militants dits wallons, ou encore l’ensemble des auteurs et amateurs de langue et de littérature wallonnes.
La fortune de ce régionyme est liée bien entendu à l’influence du mouvement wallon, qui se développe en opposition au mouvement flamand, dès la fin du XIXe siècle et surtout au XXe siècle, et qui engendre, dans la population wallonne, une prise de conscience de plus en plus nette d’une communauté de langue et de culture, puis d’intérêts économiques et politiques.
À la suite du processus de fédéralisation progressive de l’État engagé depuis le dernier tiers du XXe siècle, l’expression Région wallonne a été inscrite dans la Constitution belge, à côté de Région flamande et Région bruxelloise. Dans un premier temps, le terme Wallonie qui est pourtant général dans l’usage courant, n’a pas eu d’existence officielle.
En date du 1er avril 2010, le gouvernement wallon a décidé de promouvoir le terme Wallonie en lieu et place de Région wallonne. À l’avenir, ce terme sera donc utilisé comme signature sur le logo de l’institution régionale, sur la signalétique identifiant l’institution, son gouvernement et son administration, dans toutes les campagnes et initiatives de communication, sur les publications, etc. Dans leurs propos et écrits, les ministres recourront également, par préférence, au terme Wallonie. L’appellation Région wallonne continuera d’être utilisée sur les actes officiels pour lesquels la législation prescrit cet usage.
Enfin, signalons que dans le passé, on a aussi utilisé Wallonie dans des locutions particulières non officielles, notamment Wallonie prussienne pour la région (annexée à la Prusse jusqu’en 1918) que l’on a appelée ensuite Wallonie malmédienne. Tout récemment, on a parlé de Wallonie picarde pour l’ouest du Hainaut, linguistiquement picard, mais il ne s’agit pas d’une désignation officielle, aux contours bien précis.
Bibliographie : A. Henry, Esquisse d’une histoire des mots Wallon et Wallonie, 3e éd., Mont-sur-Marchienne, 1990 ; Id., Wallon et Wallonie, dans Wallonie. t. I, 1977, 67-76 ; J. Germain, La pré-histoire « latine » du mot Wallonie, dans Images et paysages mentaux des XIXe et XXe siècles, de la Wallonie à l’Outre-mer : hommage au professeur Jean Pirotte à l’occasion de son éméritat (Université catholique de Louvain. Publications de la Faculté de philosophie et lettres, Collection Temps et Espaces, n° 7), sous la dir. de L. Courtois, J.-P. Delville, F. Rosart et G. Zelis, 2007, p. 35-48 ; J.-P. Hiernaux, Wallonie, dans Encyclopédie du Mouvement wallon, 2e éd. augmentée et mise à jour en 2003 sur CD-Rom ; M. Piron, Les premières mentions du mot Wallonie, dans La Vie wallonne, t. XXX, 1956, p. 209-211 et 281.
J. Germain
* Si le mot « Wallonie » fut forgé au XIXe siècle et si le mot « Wallon » remonte au Moyen-Âge, qu’en est-il des réalités humaines, institutionnelles et symboliques que recouvrent ces mots ?
Les réalités humaines. Les populations qui coexistent dans le périmètre de l’actuelle Wallonie sont, comme toutes les populations du monde, issues de migrations et de métissages anciens ou plus récents. À l’époque historique, les vieux fonds celtiques et gaulois ont été modifiés en profondeur par l’arrivée des Romains depuis Jules César (58 à 51 avant J.-C.) qui, durant quatre siècles de romanisation, apportèrent leur langue latine dont dérivent nos actuels parlers romans. Ces vieux fonds de population furent ensuite chamboulés par les vagues des grandes migrations germaniques et autres depuis le IVe siècle avec, notamment l’arrivée des Francs. Ces derniers s’établirent entre Escaut, Meuse et Rhin entre la fin du IVe et le début du Ve siècle. Cet apport démographique des Francs fut important, pas suffisant toutefois pour effacer les traces de romanisation et supplanter les langues romanes, qui arrivèrent à se maintenir jusqu’à nos jours. Les brassages ultérieurs sont nombreux, ceux notamment dus aux séjours parfois prolongés des différentes armées bourguignonnes, espagnoles, autrichiennes, françaises, hollandaises et autres. Il faut ajouter les migrations plus récentes, italiennes, polonaises, turques, congolaises ou maghrébines, constitutives des populations vivant dans cette Wallonie d’aujourd’hui.
S’il fallait définir une « spécificité » wallonne, elle serait à chercher du côté des interpénétrations culturelles qui ont fait de la Wallonie un espace de romanité sans doute, en marge du monde germanique, mais aussi un espace béant, ouvert sur de nombreux horizons. La Wallonie diffère-t-elle en cela des régions voisines ? Pourtant, quelles que soient les disparités d’origine, quelles que soient les actuelles diversités régionales importantes entre un Ardennais, un Gaumais, un Tournaisien, un Liégeois ou un Namurois, il est évident qu’un « vivre ensemble » séculaire sur un territoire commun assez restreint a façonné des habitudes, a créé des environnements culturels partagés. Entendons par environnements culturels les divers types de réponses apportées par ces groupes à leurs problèmes de tous les jours, afin de se créer un demain, l’ensemble des formes acquises de comportement dans les sociétés humaines pour s’adapter aux conditions climatiques, physiques, économiques et politiques. Aucune frontière naturelle ne délimite l’espace wallon. Aucune caractéristique géographique ne lui confère une unité naturelle évidente. Aucune frontière politique ancienne ne correspond à ce territoire, si ce n’est que, au hasard des partages et des successions princières, le Lothier créé en 959 dans le cadre de l’empire germanique a préfiguré, mais de façon éphémère et très approximative, l’actuelle Région wallonne.
En dépit de cette porosité à tous les vents et de ces influences innombrables, l’espace géographique de l’actuelle Wallonie présente pourtant une caractéristique essentielle, un héritage maintenu à travers vingt siècles : cet espace est l’avancée la plus extrême de la latinité au nord, avancée qui s’enfonce comme une corne dans les zones de langue germanique. Flous depuis les grandes migrations germaniques, les contours de cet espace de romanité linguistique se sont précisés peu à peu au cours des siècles pour se stabiliser autour de l’an mil. Observons cependant que cette apparente unité romane masque en fait une diversité, puisque plusieurs dialectes wallons au sens strict recouvrent globalement quelque 70 % de la carte de la Wallonie politique actuelle : le reste est le domaine d’autres familles dialectales romanes (le picard à l’ouest ; le lorrain et le champenois au sud), avec quelques franges germanisantes (région germanophone à l’est ; région francique au sud-est). Il est vrai qu’au XXe siècle le triomphe du français, grâce notamment à la scolarité obligatoire, a soudé cet ensemble en gommant les diversités dialectales. Cette persistance, à travers vingt siècles, de cette pointe de romanité comme une presqu’île au milieu de masses germanisantes est d’autant plus significative qu’elle s’est produite, sauf exceptions, en dehors de l’influence politique française.
Les réalités institutionnelles. Des institutions communes ? Les Wallons n’en auront pas vraiment en propre pendant de nombreux siècles. Sans doute, au Moyen-Âge, sont-ils globalement et théoriquement ressortissants de l’Empire germanique, mais assez vite le morcellement de cet empire les répartit dans des principautés diverses, dont celle de Liège. L’unification entreprise par les ducs de Bourgogne au XVe siècle rassemble une bonne partie des habitants de la future Wallonie, dans un même conglomérat de principautés, mais Liège reste l’exception notoire, s’étendant sur plus d’un tiers de la superficie de l’actuelle Région wallonne. Il est d’ailleurs assez curieux de constater que durant l’Ancien Régime les Liégeois ne sont pas considérés comme des Wallons au sens politique, mais bien au sens linguistique.
Ce n’est finalement qu’à partir du Régime français de la Révolution et de l’Empire, entre 1794 et 1814, que pour la première fois depuis longtemps les populations de l’actuel périmètre wallon vivent sous un régime politique unifié. La brève période hollandaise (1815-1830) unira de nouveau les Wallons dans une réaction de rejet d’une politique vexatoire. Finalement, c’est le régime belge issu de la Révolution de 1830 qui donnera aux populations le cadre institutionnel unitaire, d’où surgiront un siècle et demi plus tard les métamorphoses fédéralistes des quatre dernières décennies.
Il faut attendre le clichage de la frontière linguistique par les lois de 1962-63, réforme exigée d’ailleurs par le monde politique flamand dans le but d’endiguer l’essor de la langue française, pour que cet espace wallon acquière un début de réalité légale. Sans doute, ce « clichage » n’était-il pas perçu à l’époque dans toutes ses conséquences futures. C’est cette frontière ainsi fixée qui sera reconnue par la Constitution belge révisée de 1971 comme limite de la Région wallonne et c’est elle qui tend à s’imposer comme intangible dans les négociations ardues, toujours en cours, sur le devenir de l’État belge.
Ce sont les révisions constitutionnelles et les réformes successives de l’État belge, construit antérieurement sur une base unitaire, qui ont donné à la Région wallonne une réalité institutionnelle précise. Fruit d’un laborieux compromis, la Constitution fut révisée en 1971 dans un sens semi-fédéral. Au terme de plusieurs réformes, tandis que les « Régions » (dont la Région wallonne) recevaient des compétences en matières économiques (économie et crédit, commerce extérieur, aménagement du territoire et urbanisme, logement, environnement, rénovation rurale, agriculture, politique de l’eau, tutelle sur les provinces et les communes, emploi, travaux publics, transports, énergie, recherche scientifique, ainsi que les relations internationales pour ces différentes matières), d’autres institutions, les « Communautés » (dont la Communauté française de Belgique, incluant Bruxelles dans sa composante francophone et la Wallonie moins la région germanophone), recevaient des compétences dans les matières culturelles et « personnalisables » (emploi des langues, culture, enseignement, audiovisuel, médecine, protection de la jeunesse, recherche scientifique ainsi que les relations internationales pour ces différentes matières). Il s’agissait d’un compromis entre un fédéralisme à deux (deux grandes communautés : la Flandre et la Wallonie) et un fédéralisme à trois (trois régions économiques : la Flandre, la Wallonie et Bruxelles). Globalement, l’autonomie culturelle des communautés répondait davantage aux vœux des Flamands (fédéralisme basé sur deux grandes communautés culturelles) ; l’autonomie économique des régions correspondait davantage aux souhaits des Wallons (fédéralisme basé sur trois régions économiques). C’est dans ce contexte que fut également créée la Communauté germanophone de Belgique (Deutschsprachige Gemeinschaft Belgiens), qui exerce les compétences communautaires sur neuf communes majoritairement germanophones appartenant à la « région de langue allemande » et intégrées par ailleurs à la Région wallonne pour ce qui est des compétences régionales.
Des réformes institutionnelles ultérieures (1993-94) accrurent le rôle des entités fédérées. Désormais, l’article 1er de la Constitution affirme clairement que « La Belgique est un État fédéral qui se compose de communautés et de régions ». Depuis 2007, l’opinion flamande exige de plus en plus clairement un accroissement significatif des compétences de ces entités fédérées et d’aucuns évoquent l’évolution vers une Belgique composée d’États confédérés.
Les réalités symboliques. Ainsi appelée à l’existence institutionnelle depuis la révision de la Constitution de 1971, la Wallonie doit émerger. Elle doit émerger dans un environnement économique et social dégradé depuis le déclin de l’industrie lourde qui avait fait sa prospérité (et, dans sa foulée, celle de la Belgique) depuis deux siècles. Pour émerger, la Wallonie doit mettre en œuvre toutes ses ressources, y compris les ressources psychologiques et symboliques. Or, on l’a souvent diagnostiqué, les habitants de Wallonie n’ont pas encore suffisamment opéré cet ajustement aux réalités institutionnelles nouvelles. Pour maintenir une cohésion entre ses membres, une société a besoin de ressources symboliques, de mythes fondateurs, d’un ensemble de représentations susceptibles d’intégrer les individus à un système de valeurs collectives. Peu sûre d’elle-même, malgré son brillant passé industriel, la Wallonie souffre d’un déficit symbolique. Diverses réalités font écran à une visibilité wallonne et à la construction d’une image cohérente de la Wallonie, condition d’une émergence. On peut regrouper ces réalités-écrans autour de sept questions.
1. Un détournement flamand ? La construction de l’histoire de Belgique a donné la part belle à la Flandre prestigieuse. Dans l’école devenue obligatoire en 1914, l’enseignement de histoire de Belgique n’a guère contribué à la connaissance du patrimoine wallon dans les générations formées avant le troisième quart du XXe siècle. Le passé des provinces wallonnes, de la principauté de Liège ou des comtés de Namur et de Hainaut était laissé dans l’ombre. Dans sa Lettre au roi publiée en 1912, Jules Destrée protestait contre ce qu’il appelait le « vol » d’une partie du patrimoine wallon par une utilisation abusivement extensive du mot « flamand » ou « école flamande ». Son combat, de même que celui du philologue liégeois Maurice Wilmotte, portait notamment sur l’ambiguïté longtemps entretenue par l’usage de l’adjectif « flamand », servant depuis la Renaissance à désigner les productions culturelles de l’ensemble des Pays-Bas, l’actuelle Wallonie comprise. Quels que soient ses fondements historiques, cet usage ne correspond plus à la façon actuelle de s’exprimer. Ce combat a-t-il perdu de son actualité ? Pas totalement semble-t-il car, à titre d’exemple, les musiciens hennuyers de la Renaissance, les Roland de Lassus, Dufay et autres, continuent à être régulièrement annexés dans la Vlaamse musiek. Mesquinerie, dira-t-on, pour qualifier l’attitude de ceux qui relèvent de tels écarts de langage. L’art ne connaît pas de frontière et la beauté est universelle. Peu importe l’étiquette, seule compte la qualité artistique et ce serait étroitesse d’esprit que de se livrer à des dosages sur des balances d’épicier. Toutefois, faute de mises au point rectificatives, s’accréditerait facilement l’idée que la Wallonie est un désert culturel.
2. L’écran belge ? La Belgique ferait-elle écran à la visibilité wallonne ? L’attachement d’une large partie de l’opinion wallonne au projet belge est bien connu. Pour de nombreux Wallons, le symbolique prestigieux auquel on aime se rattacher, la mythologie fondatrice restent liés à la patrie belge, sa monarchie, sa capitale, ses fleurons culturels. Face aux exigences flamandes pour une autonomie accrue, beaucoup de Wallons, nostalgiques de la Belgique unitaire, ont joué le rôle de frein. Alors qu’un grand nombre de Flamands se montraient soucieux de la mise en valeur de leur patrimoine propre, beaucoup de Wallons, par contre, rapportaient à la Belgique tous les éléments de leur patrimoine. Maintenant encore, les Wallons accolent assez spontanément l’épithète « wallon » aux entreprises en difficulté ou aux séquelles douloureuses de leur passé industriel, mais rarement aux exploits des sportifs, aux inventions des savants, aux œuvres des artistes, qui viennent ainsi enrichir naturellement le patrimoine belge. Les médias reflètent d’ailleurs souvent cet usage et contribuent à l’ancrer davantage, malgré l’existence actuelle d’une réalité politique wallonne. Tout comme les exportateurs vendant du « belge » (mode belge, fromage belge, bœuf blanc-bleu belge), on observe aussi que les milieux culturels cultivés tiennent souvent au label « belge » et tendent à effacer, comme signe d’un provincialisme étriqué, toute référence à la Wallonie. Corrélativement, peut-être un certain complexe, provincial diront certains, s’est-il développé par rapport à la capitale belge. En bref, le faible niveau de la « conscience » wallonne s’allie souvent à une attitude naturelle de réserve des Wallons pour laisser dans une ombre pudique leurs créations.
3. Une Wallonie soluble dans la Communauté française ? Cette question nous amène au débat qui a opposé depuis les années 1980 les partisans d’un épanouissement wallon aux partisans de la Communauté française de Belgique, avec en toile de fond ce choix à opérer entre, d’une part, une visibilité culturelle accrue de la Wallonie et, d’autre part, une primauté accordée à une vie culturelle plus prestigieuse dans la capitale de la Communauté française de Belgique. Nées toutes deux comme des sœurs siamoises des accouchements constitutionnels laborieux de l’année 1971 et des lois d’application de 1980, la Région wallonne et la Communauté française de Belgique apparurent très tôt comme des rivales, pourtant soudées l’une à l’autre. Cette dualité institutionnelle n’était pas faite pour clarifier le paysage symbolique d’une Wallonie en mal de compréhension d’elle-même. De telles institutions qui devraient concourir à la construction symbolique de la Wallonie, la desservent en fait. En effet, si les questions économiques sont du ressort de la Région wallonne, le domaine culturel est de la compétence d’une autre institution, la Communauté française. Or, ni les territoires ni les intérêts de ces deux institutions ne se recouvrent entièrement.
La Communauté française de Belgique, indépendamment du lien nécessaire de solidarité qu’elle préserve entre les Régions wallonne et bruxelloise, entretient un dessein culturel mort-né. Cette institution exprime en fait la visée des héritiers de la bourgeoisie de 1830 qui a jadis construit l’État belge unitaire sur une base francophone. Les Flamands ayant refusé de s’intégrer à ce modèle, la Communauté française poursuit le rêve belge sans eux. Cet État résiduaire compte ainsi une capitale, Bruxelles, et une province, la Wallonie, dont le nom et les aspirations s’effacent. L’establishment francophone a sécrété son idéologie : la « belgitude », courant lancé au cours des années 1970 dans les milieux bruxellois francophones. Représentation fourre-tout et narcissique, fonctionnant à usage exclusif de la partie francophone de la Belgique, cette « belgitude » est un concept chimérique de repli.
Cette situation porte préjudice à la Wallonie et handicape son épanouissement. Dépourvue de compétences culturelles, la Wallonie est ainsi privée de son capital symbolique qui lui permettrait de se construire une image valorisante et dynamique. La Wallonie devient ainsi seulement perceptible par les avatars d’une laborieuse reconversion économique et nullement par les fleurons de son savoir-faire passé et présent. Pour une société, la possibilité de retrouver sa capacité de créer et la maîtrise de son avenir passe par la construction d’une image d’elle-même intégrant de façon cohérente, passé, présent et visions d’avenir.
4. Un héritage socio-économique traumatisant ? Les difficultés économiques que traverse la Wallonie depuis cinq décennies renforcent un sentiment d’infériorité. Dans son autostéréotype, le Wallon intègre assez facilement des appréciations négatives sur un manque de dynamisme, appréciations historiquement injustes puisqu’elles ne tiennent pas compte des problèmes épineux rencontrés par la reconversion économique et qu’elles gomment le siècle et demi d’essor industriel au cours duquel la Wallonie fit la prospérité de la Belgique. Certains médias flamands récriminent depuis quelques vingt ans sur des transferts de richesses entre le nord et le sud au profit de la Wallonie, mais rarement on ne cherche à comptabiliser avec rigueur les transferts qui s’opérèrent jadis en sens inverse à l’époque de la grave crise que traversèrent les régions flamandes au XIXe siècle ? Un passé industriel prestigieux, mais aussi douloureux sur le plan social, a marqué les mentalités wallonnes. Il a laissé des traces dans le paysage, stigmates encore visibles d’un déclin.
Plus globalement, il faut poser la question : une culture régionale dynamique apparaît-elle comme un atout ou comme un frein pour le développement économique ? Les économistes ont mis en évidence le lien entre le développement et les divers facteurs culturels et mentaux. On constate que les régions ayant le plus développé leur image, comme la Catalogne et la Flandre, ont connu un épanouissement de leur économie. Les Wallons, souvent ignorants de leur passé et des potentialités créatrices de leur région peuvent-il en donner une image positive et attractive ? Pourrait-on espérer qu’un renouveau économique vienne fleurir comme par hasard dans un désert culturel, au milieu d’une population qui ignorerait tout de son passé et de ses potentialités ?
5. Langue du peuple et culture des élites ? La problématique des langues parlées en Wallonie mériterait d’être mieux abordée afin d’expliquer l’attitude des Wallons par rapport à la culture écrite. Dans la situation de diglossie que vivait la Wallonie depuis des siècles, une partie non négligeable de la population n’avait qu’un accès limité à la langue que maîtrisaient les nantis de la culture et du pouvoir. Entendons par diglossie, avec les sociolinguistes, une situation de coexistence de deux langues entre lesquelles s’établit de façon nette une hiérarchie fonctionnelle. La diglossie wallonne fut caractérisée par l’emploi simultané de deux langues : l’une, le wallon (ou les autres dialectes endogènes romans [picard, lorrain et dans une moindre mesure champenois], ou germaniques [dialectes franciques]), langue peu unifiée utilisée dans la sphère des rapports familiers ; l’autre, le français, langue plus unifiée et de rayonnement supérieur, se superposant aux langues endogènes, pour les communications officielles. Le peuple n’utilisait dans ses contacts quotidiens ni le langage officiel des chancelleries, ni les idiomes plus complexes ou techniques des philosophes et des savants. En outre, dans nos régions, le peuple parlant wallon n’avait souvent qu’une compréhension imparfaite de la langue des classes supérieures s’exprimant en français.
Ce hiatus est important. Dans notre passé plus lointain, a-t-on déjà tenté de mesurer de quel poids pesa sur la créativité culturelle wallonne cette situation de rupture entre un peuple et ses élites ? La nécessité de changer de langue pour accéder à la culture et au pouvoir, se combinant avec les développements de l’enseignement en français, aboutit à une régression nette au XXe siècle du wallon parlé. Dans la pratique quotidienne, jusqu’au milieu du XXe siècle, l’école a contribué à culpabiliser et à inhiber les Wallons depuis l’enfance en réprimant les expressions et accents régionaux comme incorrects ou grossiers. Les parlers wallons ont depuis un siècle entamé une vie souterraine, se réservant le monde de l’intimité et s’effaçant d’eux-mêmes dans les domaines publics ou culturels. Le wallon finira-t-il par disparaître de la constellation des langues parlées ? Malgré l’appui tardif et peu efficace que lui a accordé en 1990 la Communauté française par son décret sur l’emploi des langues régionales reconnues comme patrimoine culturel, l’emploi du wallon régresse d’une décennie à l’autre. Chaque fois que dans le monde une langue s’éteint, c’est évidemment une vision du monde qui disparaît avec elle. Sur le long terme, comment mesurer l’impact de cet abandon sur la créativité wallonne ? Peut-on évoquer ici un phénomène de déculturation ?
Une chose est certaine : cette « Wallonitude » souterraine ne contribue pas à la construction d’une image compacte et altière. Les historiens ne démentiront pas le rôle que joua dans la construction de la nation flamande le combat pour la langue (De Taal is gansch het volk ). L’identité catalane se forgea aussi autour de la langue. Quant aux Wallons, ayant depuis longtemps, de facto, rejeté l’idée d’ériger leurs idiomes régionaux en langue officielle de leur communauté pour adopter une grande langue internationale de culture, ne se trouvent-ils pas en définitive pénalisés dans l’État belge par rapport aux Flamands, ayant eux conservé leurs parlers locaux pour les unifier et promouvoir ainsi leur langue propre hissée au niveau de langue de culture ? Sans doute ne peut-on abolir le passé, mais il est légitime de poser certaines questions.
On pourrait sur ce terrain de l’expression linguistique se poser bien d’autres questions, comme celle de la gêne longtemps ressentie par les classes moins cultivées de Wallonie, maîtrisant moins bien le français oral et mal à l’aise face à des interlocuteurs français. Ce sentiment d’« insécurité linguistique » a fait l’objet de nombreuses enquêtes des sociolinguistes de l’Université de Louvain.
6. Un centre de la création wallonne ? La conscience wallonne n’a-t-elle pas souffert de ne pas avoir sur le territoire wallon une capitale culturelle incontestée ? Sans négliger le rayonnement de Liège au Moyen-Âge, à ces époques où elle portait fièrement le nom d’Athènes du Nord, sans minimiser non plus sa vocation culturelle par la suite, il faut reconnaître que cette ville ne joua pas un rôle de pôle d’attraction culturelle unique pour la Wallonie. Il est vrai aussi que Liège a joué un rôle de premier plan pour la littérature et la philologie wallonnes.
Par contre, dans beaucoup de domaines, les centres moteurs de la recherche et de la création culturelle par des Wallons se situaient hors des frontières de la Wallonie. À l’extérieur de l’aire wallonne, Bruxelles apparaissait comme un lieu de ralliement des créateurs wallons… Bruxelles, cette ville que les Wallons crurent longtemps leur, cette capitale où ils n’hésitèrent jamais à investir au temps ou nationalisme belge avait le vent dans les voiles. Autre lieu extérieur : Leuven avec son université fut jusque dans les années 1970 le cordon nourricier d’une partie de l’intelligentsia wallonne. Et que dire de Paris, capitale vers laquelle se tournaient volontiers les yeux des Wallons, fascinés par le prestige culturel de la France ? C’est à Paris que César Franck a composé ses grandes œuvres et régné sur la musique de son temps, qu’Adolphe Sax a inventé sa famille de saxophones, que Simenon s’est fait connaître par ses romans policiers, qu’Étienne Lenoir, de Mussy-la-Ville, a mis au point en 1862 une voiture automobile mue par un moteur au gaz. La réussite culturelle se paie souvent en termes d’exode. Cette attraction d’une grande capitale est sans doute explicable pour valoriser les talents. Le drainage des créateurs wallons vers ces centres extérieurs explique peut-être bien des choses dans la situation de la Wallonie. Quelles furent les conséquences sur la création wallonne de ce mouvement centrifuge vers des capitales culturelles extérieures ? En un sens, ne peut-on pas dire que les points de repère de l’imaginaire wallon ont été posés en dehors du vécu wallon ?
7. Un mouvement wallon indécis. Cette dernière question concerne les indécisions et les divisions des mouvements de prise de conscience wallonne. Cette prise de conscience est née vers la fin du XIXe siècle dans le contexte des polémiques virulentes contre les revendications du mouvement flamand. Le mouvement wallon a longtemps hésité entre deux objectifs : d’une part, la prise en main de son destin propre ; d’autre part, la défense d’une Belgique unie contre les assauts des flamingants perçus comme diviseurs de cette patrie belge dont, à l’époque, la Wallonie était le brillant moteur économique. Ce n’est que peu à peu, au fil du XXe siècle, lorsque le fait flamand est devenu plus évident et plus inéluctable, que l’idée d’une « séparation administrative » comme on l’appelait alors fait son chemin. L’histoire du mouvement wallon est jalonnée de fractures, alors que le mouvement flamand, sans doute également divisé entre tendances, a eu la sagesse tactique de revendiquer sur base de plate-forme commune, en mettant à chaque succès la barre un peu plus haut. Morcelés en chapelles, incapables de s’en tenir longtemps à une plate-forme commune, les mouvements wallons n’ont pas réussi à prendre vraiment racine dans la population avant les années 1960. Par la suite, dans les années 1960, celles du déclin de la grande industrie wallonne, ces mouvements se centrent sur l’obtention d’une capacité décisionnelle en matière économique. Ces années marquent un tournant, mais une bonne partie de l’opinion wallonne, comme on l’a vu plus haut, reste fascinée par le projet Belge.
En conclusion, la Wallonie est un espace ouvert, sur lequel vivent des populations sans doute d’origines diverses, mais qui avec le temps ont créé des environnements culturels partagés. Son sort dans le passé est lié à celui des provinces belges, mais quelques spécificités donnent à la Wallonie un visage particulier : la persistance de la romanité dans un entourage linguistique germanique ; des liens forts à la culture française ; un passé industriel brillant ayant toutefois laissé des séquelles sociales douloureuses. Bien que les réalités humaines wallonnes soient riches et complexes, la Wallonie est encore à la recherche de son image qui permettra son émergence. Divers facteurs historiques concourent actuellement à brouiller cette image. Dans le contexte, d’une part, d’une reprise économique difficile et, d’autre part, des nombreux avatars d’un État belge qui tend à s’effriter, une prise de conscience wallonne s’avère indispensable pour émerger.
Bibliographie : A. Pirotte, L’apport des courants régionalistes et dialectaux au mouvement wallon naissant. Une enquête dans les publications d’action wallonne de 1890 à 1914 (Université de Louvain. Recueil de travaux d’histoire et de philologie. Série 7, fasc. 5) Louvain-la-Neuve, 1997 ; P. Destatte, L’identité wallonne. Essai sur l’affirmation politique de la Wallonie aux XIX et XXe siècles, Charleroi, 1997 ; Encyclopédie du mouvement wallon, sous la dir. de P. Delforge, P. Destatte, M. Libon, 3 vol. Charleroi, 2000-2001 ; Entre toponymie et utopie. Les lieux de la mémoire wallonne (Publications de la Fondation Wallonne P.-M. et J.-F. Humblet. Série Recherches, t. II), sous la dir. de L. Courtois et J. Pirotte, Louvain-la-Neuve, 1999 ; Histoire de la Wallonie, sous la dir. de L. Genicot, Toulouse, 1973 ; Histoire de la Wallonie. De la préhistoire au XXIe siècle, sous la dir. de B. Demoulin et J.-L. Kupper, Toulouse, 2004 ; Hommages à la Wallonie. Mélanges M.A. Arnould et P. Ruelle, sous la dir. d’H. Hasquin, Bruxelles, 1981 ; Images de la Wallonie dans le dessin de presse (1910-1961). Une enquête dans la presse d’action wallonne (Publications de la Fondation wallonne P.-M. et J.-F. Humblet. Série Études et documents, t. II), sous la dir. de L. Courtois et J. Pirotte, Louvain-la-Neuve, 1993 ; L’imaginaire wallon. Jalons pour une identité qui se construit (ibid. Série Recherches, t. I), sous la dir. de Id., Louvain-la-Neuve, 1994 ; Pour la Wallonie. Fondation wallonne P.-M. et J.-F. Humblet Vingt ans d’action wallonne (1987-2007) (ibid. Série Recherches, n° hors-série), sous la dir. de L. Courtois, Jean Pirotte et C. Sappia, Louvain-la-Neuve, 2008 ; Du régional à l’universel. L’imaginaire wallon dans la bande dessinée (ibid. Série Études et documents, t. IV), sous la dir. de J. Pirotte, avec la coll. L. Courtois et A. Pirotte, Louvain, 1999 ; La Wallonie. Le pays et les hommes. Histoire. Économies. Sociétés, sous la dir. d’H. Hasquin, 2 vol. Bruxelles, 1979-1980 ; La Wallonie. Le pays et les hommes. Lettres. Arts. Culture, sous la dir. de R. Lejeune et J. Stiennon, 4 vol., Bruxelles, 1977-1981.
J. Pirotte
→ Est ; Nord ; Oleffe ; Sud ; Wallons.