avenue Théodore Schwann
Schwann
Schwann (avenue Théodore) E8-E9-F8
Conseil communal du 22 juin 1976.
Toponyme créé (toponyme non descriptif).
* Thème du passé universitaire.
* Thème du patrimoine européen et universel.
* Thème des sciences exactes.
« Avenue Théodore Schwann » (1810-1882) honore ce naturaliste allemand, professeur un temps à l’Université de Louvain, qui révolutionna la biologie, en affirmant que la cellule est l’unité élémentaire de la vie.
* Théodore Schwann naît en 1810 à Neuss sur le Rhin dans une famille catholique, nombreuse et pieuse. Destiné par sa mère à la prêtrise, c’est paradoxalement l’influence d’un maître de religion du Tricoronatum (Collège des Trois couronnes à Cologne) qui le mène à renoncer à la théologie pour entreprendre des études de médecine. Persuadé que l’homme, seul être libre de la création, peut s’élever par le perfectionnement personnel, Schwann conjugue par son choix de l’activité scientifique sa passion de la vertu avec celle de la connaissance.
Ayant défendu sa thèse en médecine à Berlin en 1834, il devient aide-naturaliste au Musée d’Anatomie. Il y travaille sous la direction du physiologiste Johannes Peter Müller (1801-1858). C’est durant les cinq années berlinoises qui suivent que Théodore Schwann produit les contributions auxquelles son nom reste attaché. L’influence du libre-examinisme berlinois s’exprime dans ses travaux par un rejet du vitalisme et une volonté de comprendre le mystère de la vie en subordonnant la biologie à la physique. Il établit le lien entre la force d’un muscle et son degré de contraction. Il découvre la pepsine, première enzyme obtenue à partir d’un tissu animal, et démontre l’intervention de micro-organismes dans les phénomènes de putréfaction et de fermentation.
Plus considérable encore est l’impact de sa théorie cellulaire. Il démontre en effet que « l’origine cellulaire est commune à tout ce qui vit » : l’organisme animal, comme le végétal, n’est formé que de cellules, ce qui réduit l’élucidation du mystère de la vie à l’étude de sa nature physico-chimique. Ses conclusions sont publiées à Berlin en 1839 sous le titre Mikroskopische Untersuchungen über die Uebereinstimmung in der Struktur und dem Wachstum der Thiere und Pflanzen. Il complète ainsi les recherches au terme desquelles Mathias Schleiden (1804-1881) a proposé un an plus tôt la théorie cellulaire en histologie végétale. Selon Schwann, « les cellules sont des organismes, et les animaux comme les plantes sont des agrégats de ces organismes arrangés suivant des lois définies ». En avril de la même année, Schwann est nommé professeur à Louvain. Mais l’homme qui dorénavant enseigne l’anatomie aux futurs médecins est profondément changé. Au cours de l’année 1838, il a en effet vécu une crise de conscience qui le ramène au Dieu de son enfance, et l’écarte de la voie rationaliste qu’il avait jusque-là privilégiée pour atteindre la vérité. Sa carrière professorale à Louvain, puis à Liège où il est nommé en novembre 1848, est consciencieuse sans être brillante. À Louvain, il poursuit ses travaux sur la fermentation et démontre le rôle des micro-organismes qu’il avait suspecté. Ses recherches sur la contraction musculaire l’amènent à découvrir la gaine qui enrobe les axones dans les fibres nerveuses, aujourd’hui appelée « gaine de Schwann ». Il forge le terme de métabolisme, et jette les bases de l’embryologie en observant le développement d’une cellule particulière, l’œuf fécondé. Parmi les affaires auxquelles il sera mêlé contre son gré, la polémique à propos de Louise Lateau l’affecte profondément. Il avait été désigné comme expert pour examiner la « stigmatisée de Bois-d’Haine » et avait conclu dans son rapport à la supercherie. Mais l’évêché de Tournai altère le contenu du rapport qui cautionne ainsi les prétendus stigmates. Malgré sa reconversion religieuse, Schwann n’accepte pas que l’on falsifie ses conclusions, mettant ainsi en danger son honnêteté scientifique.
Ses publications se font rares puis inexistantes, et il devient davantage connu pour son invention d’appareils permettant de vivre dans un milieu irrespirable présentés à l’Exposition Universelle de Paris en 1878. Nombreux furent les historiens et physiologistes qui se sont interrogés sur cette inertie scientifique après des travaux prestigieux et fondateurs. L’insuffisance des moyens et la médiocrité du milieu intellectuel belge ne peuvent en tout cas être incriminés : c’est dans sa chambre d’étudiant et dans l’isolement que Schwann a réalisé ses découvertes microscopiques et ses interprétations cellulaires. La charge de l’enseignement de l’anatomie a dû sans doute le distraire de ses études physiologiques. Ses convictions religieuses constitueraient pour d’aucuns l’explication la plus plausible : de nature paisible et soumis à l’Église, Schwann aurait préféré s’abstenir de travailler plus longtemps dans un champ controversé qui semblait de surcroît offrir des arguments naturels et irréfutables aux doctrines matérialistes. L’argument est insuffisant puisque ce n’est qu’à la fin de sa vie, en mai 1877, qu’il va reconnaître la religion catholique romaine comme l’essence véritable et unique du christianisme. Enfin, ses biographes ont à maintes reprises stigmatisé le caractère complexe de ce célibataire timide, sensible, anxieux voire névrotique, frustré dans ses ambitions d’enseigner la physiologie à Bonn — il deviendra titulaire de la chaire équivalente à Liège en 1858 seulement, soit vingt ans après ses Mikroskopische Untersuchungen — et blessé par les polémiques auxquelles il fut mêlé contre son gré.
Sans doute tous ces facteurs ont-ils joué un rôle indéniable dans le silence de Schwann sur la scène savante. Mais ces analyses historiques présentent toutefois le défaut de limiter l’existence et l’essence de l’homme à l’aspect public de sa personnalité et de son œuvre. Dans l’intimité, en effet, Schwann poursuit son cheminement à la fois mystique et intellectuel, comme le prouvent sa correspondance, son journal intime, ainsi que de nombreux traités et notes inédits. Les lettres échangées avec ses amis, et en particulier avec P.J. Van Beneden (1809-1894), son successeur à Louvain, révèlent elles aussi le fond de son caractère : cordial, bienveillant et primesautier. Pour l’essentiel, il poursuit la quête intellectuelle qui l’a poussé à formuler sa théorie cellulaire. Avec cette dernière, il était parvenu à établir le fait que la vie trouve sa raison d’être dans les propriétés des atomes, catégorie qui regroupe les cristaux et les cellules. Ces atomes existent sous forme organisée, par contraste avec les substances libres, agrégats amorphes et non organisés. Dans cette dernière catégorie, Schwann situe le principe psychique de l’homme. Chez la plante ou l’animal, l’état psychique total — âme animale — est une totalité qui résulte de tous les états psychiques des atomes formant l’organisme. Cette individualité psychique est le résultat complexe mais contingent des modifications physico-chimiques à l’échelle des atomes. Par contre, Schwann reconnaît chez l’homme l’existence d’un principe libre indépendant des états psychiques des atomes mais solidaire au point de ne former avec eux qu’une seule individualité qui est combinée avec le corps humain en entier.
Sa conversion à l’Église l’amène après 1877 à reformuler sa théorie dans une perspective mystique. Il imagine un Dieu-organisme parfait, résultat de l’union de Dieu aux hommes, qui correspond au corps mystique du Christ auquel Dieu participe mais n’en constitue qu’une partie. Pour faire partie de ce Dieu-organisme, l’homme doit accomplir l’acte volontaire du baptême, mais la rédemption de l’homme déchu ne s’opère toutefois que par la force agissante de Dieu présent au sein de cet organisme. Chez l’homme racheté, l’esprit et le corps sont rétablis dans leur unité, et s’ouvre en même temps le chemin de la connaissance.
Ce système, teinté de gnosticisme, nourrit le mysticisme inné de Schwann dans les dernières années de sa vie. C’est dans cet état d’esprit qu’il s’éteint en 1882. Attiré à Louvain par Pierre-Joseph Van Beneden, Schwann ne semble pas y avoir eu un impact direct en biologie cellulaire : son silence en ce domaine s’explique, on l’a vu, par un dégoût des polémiques et une crainte de voir ses travaux utilisés à d’autres fins que scientifiques. Mais l’Université hébergea toutefois l’un des grands centres dans le domaine de la biologie cellulaire, fondé par Jean-Baptiste Carnoy (1836-1899).
Bibliographie : M. Florkin, Naissance et déviation de la théorie cellulaire dans l’œuvre de Théodore Schwann, Paris, 1960 ; L. Frédéricq, Théodore Schwann, sa vie et ses travaux, Liège, 1884 ; H. Hümmeler, Glaübige Wissenschaft. Leben und Tagebücher des Physiologen Theodor Schwanns, Düsseldorf, 1936.
B. Van Tiggelen